“Le vrai mystère, c’est le monde visible, non l’invisible” (Oscar Wilde). En organisant pour cette première exposition consacrée au travail personnel du photographe de mode Erwin Olaf, l’institut Néerlandais donne à voir l’un des grands regards radicaux et contemporains dont l’obsession plastique pourrait laisser croire à une certaine superficialité esthétique quand, en réalité, son exploration patiente des apparences, le perfectionnisme de ses mises en scène, loin de transformer les sujets en mannequins sans âme, révèlent l’énigme brute du réel. “Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, c’est la peau” rappelait Paul Valéry. C’est là le véritable propos des œuvres d’Erwin Olaf.
Véritable amoureux des formes et des femmes, Erwin Olaf le reconnaît lui-même:"quand je crée mon propre monde, je peux exprimer parfaitement ce que je veux dire." Un langage qui est avant tout celui de l’ambiguïté et de l’équivoque. Convoquant le maniérisme de ces travaux publicitaires pour les plus grandes marques globales (Levi’s, Diesel ou Nintendo) à une profondeur picturale et cinématographique inspirée tant par Vermeer, Hopper, Mondrian ou Tati, Erwin Olaf joue des contraires pour mieux tromper le regard de l’observateur. Là où ses clichés de jeunes femmes sublimes appelle à une telle perfection que l’on croirait ses modèles faits de cire virtuelle, Olaf introduit dans ce microcosme démiurgique un élément perturbateur. La pluie, un battement de paupière, un silence… rien de que très invisible en soi mais qui s’immisce dans l’image comme une étrangeté, une quasi-monstruosité silencieuse. Dans les quatre séries exposées à l’Institut Néerlandais (Rain, Hope, Grief & Fall), Erwin Olaf offre un panorama spectaculaire des ambiguïtés de son art: entre sur-objectivité et sentimentalisme, superficialité publicitaire et théorisation esthétique, vrai et faux… et laissant au fil des années de plus de plus de part à la manifestation immédiate de l’humain, du trop humain.
Hope & Rain : il pleut dehors et tout est chaleureux à l’intérieur. Posés là, mis en scène dans ces cocons dignes d’Edward Hopper, les personnages d’Erwin Olaf existent comme existent les objets, ce de cette présence cinématographique surréaliste ramenant le signifié au plus près du signifiant. Dedans / Dehors : tel est l’obsession d’Erwin Olaf. Comprendre ce qui nous rend hermétique ou poreux, ce qui dicte notre présence ou notre absence. Univers construit, univers du moment à venir, univers du surcis. Olaf montre ce que David Lynch masque, l’objectivité de l’existence, sa nature intrinsèquement réifiante.
La femme de “The Kitchen” , le faux couple de “The Hallway”, l’adolescente “teacher pet” de “The Classrom”, les obèses de “The Dancing School” ramènent tous à cette dualité dedans / dehors. Et la pluie collée à l’imperméable strict de l’homme lunaire perdu sur le pallier d’un motel n’est que le signe troublant que la frontière rassurante et établie entre ces deux monde n’est qu’une douce illusion.
Grief: inspirée par Jacqueline Kennedy et l’assassinat de Dallas, la série “Grief” respire l’implosion et démontre une nouvelle orientation de la mise en scène d’Olaf. Là où “Rain & Hope” objectivaient les personnages, leur déniant toute subjectivité émotionnelle, les sujets de “Grief” sont saisis au bord de la falaise: l’annonce du drame, l’absence définitive de l’être attendu, le retour impossible au foyer. S’inscrivant toujours dans ces intérieurs neutralisant de bourgeoisie des années 50, Erwin Olaf saisit l’instant décisif, le moment avant la chute, avant l’abandon aux larmes, aux cris, à la colère.
Et là où les personnages remplissaient auparavant l’espace de leur nature d’objet, ce sont désormais les objets quotidiens qui hurlent leur présence à l’image: le verre rempli de whisky qui ne sera jamais vidé, l’assiette déjà froide attendant un convive qui n’arrivera pas, les meubles expirant leur confort suranné, ce bas qu’il n’est plus nécessaire d’enfiler, cette robe, cette coiffure si soignée qu’on ne verra pas démêlée, cette horloge que l’on veut arrêter. Sublimant ses modèles féminins dans une approche quasi-flamande de la lumière, les parant de prénoms empruntant à la mythologie contemporaine (Caroline, Victoria, Barbara, Irene) La douleur, invisible, pas même esquissée, résonne pourtant en nous, comme si nous devions collectivement porter le deuil étouffé d’un certain destin occidental s’incarnant dans une esthétique américaine des années cinquante, décennie grosse d’une idéologie du progrès qui pour certains pris fin en 1963.
Fall : “quand j’ai commencé la série “Fall”, il y avait une vue dans laquelle une fille ferme à moitié les yeux. Cette image m’a intringué pendant plusieurs semaines. J’ai donc décidé d’explorer l’idée et j’ai fait quelques images dans lesquelles j’ai demandé aux modèles de cligner des yeux. Il en est ressorti que le battement de paupières est un instant que seule la photographie peut capter”. Avec “Fall”, Erwin Olaf s’empare de son matériau favori – des modèles quasi parfaits – pour les transformer en icônes. Icônes modernes nimbées d’une lumière enveloppante, presque irréelles, posées, posantes au sein d’un neutre décor couleur grège, toutes contemporaines idoles, saintes aux peaux satinées aux courbes sensibles, aux bouches parfaitement dessinées, mais dont les yeux mi-clos laissent voir l’âme derrière l’enveloppe charnelle, le subtil moment où, du corps s’échappe l’esprit, comme un vêtement soudain ôté, glissant le long de ces corps soyeux, comme une aspiration soudaine laissant deviner quelque chose d’impalpable derrière la carcasse sublime.
Une évasion terrible: Paul Valéry demandait “comment se peut-il que l’on ose s’endormir"?” rappelant que le sommeil est une aventure étrange où la conscience cède à la pesanteur du corps sans certitude de jamais se réveiller. Olaf, introduisant dans ses portraits de chute, d’abandon subreptice, des natures mortes sous forme de plantes tout aussi soignées et habillées que ses modèles humains, ne dit rien d’autre. Comment se peut-il que l’on ose s’échapper ?
Les passionnants films projetés au sous-sol permettent de comprendre comment Olaf construit ses séries, mêlant la rigueur photographie avec un sens de la narration suspendue typiquement cinématographie. Sans compter sur une ironie féroce et souvent chargée sexuellement, comme un contre-pied malicieux à l’apparente froideur de ses clichés.
N.
“Erwin Olaf – Rain, Hope, Grief & Fall”, du 14 Mai 2009 au 5 Juillet 2009 à l’Institut néerlandais, 121 rue de Lille, 75007, Paris
Mots clés Technorati :
Erwin Olaf,
Institut Néerlandais,
Rain,
Hope,
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Jacques Tati